1970 MORT DE DE GAULLE
Le 10 novembre 1970, en fin d’après-midi ? je sortais des cours d’hypokhâgne lorsque, près de la plaque qui rappelle la visitede Georges Clemenceau , je heurtais un garçon hilare et tout énervé. Je le connaissais peu, il participait aux manifestations si fréquentes dans ces années d’après soixante-huit. Il criait « de Gaulle est mort!!!» et il voulut m’entraîner dans une danse endiablée.
Je m’éloigne rapidement. Il est vrai qu’alors, le général de Gaulle ne représentait pour beaucoup d’entre nous que celui qui avait eu le pouvoir pendant les dix années de notre enfance. Engoncé dans son uniforme, sous le képi aux deux étoiles de général de brigade, il était loin de nos tenues colorées, de nos cheveux longs et de nos aspirations de liberté et de changements.
Il me paraissait indécent de danser pour se réjouir de tout décès quel qu’il soit. Je savais surtout quelle allait être la douleur de mon père qui, à l’age où j’étais en première, s’était engagé pour répondre à l’appel du 18 juin. Venant de finir l’École des mousses à Brest, il était parti pour l’Angleterre. Il allait embarquer sur le contre-torpilleur le Triomphant et y rester pendant les cinq années de la guerre. Après les convois de l’Atlantique nord, ce fut l’océan Pacifique, les îles polynésiennes, la Nouvelle-Calédonie, l’Australie avant un retour par le canal de Suez. Ses photos montrent les bombardements, les naufragés qui fuient les îles, les copains. Dans son petit carnet, il y a ces notes si émouvantes prises chaque heure quand les moteurs tombent en panne alors qu’ils sont dans un typhon et qu’ils doivent plonger au milieu des requins pour rejoindre un vaisseau américain.
Pour tenir, il y a la figure du général de Gaulle qu’il a croisé lors des inspections des quelques navires de la France Libre. Il avait su trouver les mots justes pour ce jeune qui se dit, lui aussi, « révolté » et qui pense à sa mère qui restera cinq ans à Nantes sans nouvelles de son « gâs ».
En 1970,après une carrière au long cours, il était devenu capitaine des bacs sur la Loire. En quittant le lycée, je savais que j’allais le retrouver dans la cuisine, assis sur une chaise, les bras croisés, les jambes tendues , près de lui le journal avec, en pleine page la photo du général. Je le serrai dans mes bras. Ma mère préparait la soupe. Il avait pleuré, il ne dit mot de la soirée. Plus tard, dans les images d’archives qui passèrent à la télé , nous avons cru le reconnaître au garde-à-vous, accueillant le général en haut de l’échelle de coupée. Lui n’en dit rien, pouvions-nous comprendre ce que signifiait cet engagement, ce qu’avait représenté les désaccords qu’il pouvait avoir eus plus tard quand le général était devenu président. Pouvions-nous être dans cette figure de sa jeunesse et de ses idéaux qui disparaissait.
La semaine suivante, Hara-Kiri, le journal bête et méchant, titrait « Bal tragique à Colombey, un mort ». J’évitais soigneusement d’en parler. Quelque soit son humour, je savais que, pour lui, on ne pouvait rire de tout.
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HERVÉ 10 straed Kergudon. SAINT CADOU 29450 SIZUN