Tout d’abord, il y a l’ironie malicieuse : Mai 68, « ce surplus de congés offert par un soubresaut de l’histoire ». Après tout, un certain écrivain de l’autre siècle voyait bien « quatre ans de grandes vacances » dans la guerre de 14-18.
Le livre s’achève sur l’image de l’auteur en auto-stoppeur maladroit, guitare en bandoulière. On the road again. Il est beaucoup question de route ici, de ceux qui la prirent, Kerouac, le poète de Charleville ou Jean le narrateur qui en rêvait, sur la moto du cousin Joseph.
Tels sont les chemins qui arriment à une époque cette autobiographie poétique, pleine de bruits de mobs, de cris de fans, d’accords psychédéliques qui libèrent les corps. Le ciment de toute cette jeunesse, c’est la musique. Qu’est-ce qui unit le cousin de Campbon qui tend à l’auteur sa première guitare et Jimi Hendrix qui joue contre la guerre du Vietnam ? L’instrument emblématique, avec, au bout des cordes, la libération.
Comme toujours, la tonalité est douce-amère chez Jean Rouaud qui garde le cœur secoué de sanglots, depuis ce jour de 1963 où meurt son père.
De livre en livre, l’événement ne cesse de diffuser ses ondes de chagrin. De la pluie et des larmes. Il n’y échappe que par l’humour et cette lumière tendre autour de ses personnages. Telle la vieille dame professeur de piano. La scène où le futur Goncourt s’escrime à composer une chanson d’après Rimbaud, un Larousse de survie à ses côtés, est une petite merveille de drôlerie. C’est d’ailleurs lui, le poète maudit qui est legrand intercesseur, omniprésent, au point d’inspirer le titre.
En liant la plainte et le chant, c’est justement le blues que, par la grâce d’une écriture superbe, Jean Rouaud fait naître dans l’écoulement d’un temps retrouvé.
Marie-Hélène Prouteau